La Mission de la Mer au cœur du monde maritime, pour y promouvoir l’humain
par Clément Pichaud.
Un tel titre donne à penser que l’humain est trop souvent oublié, ou abimé, en monde maritime : cf. mon patron ostréiculteur : les bonnes femmes, je m’en fous ; moi, ce que je veux, c’est des huîtres ! En contrepoint, un neveu cadre en entreprise du bâtiment : être humain, il faut croire que c’est rare, puisque c’est devenu un compliment. C’est même le qualificatif qui m’a le plus touché, en 16 ans de vie professionnelle, quand quelqu’un me dit : « toi, t’es humain ! » (1)
Pour aider à creuser votre thème d’année, je voudrais essayer de réfléchir avec vous à ce que c’est qu’être humain, dans ses objectifs, son travail, ses relations ; avoir un regard humain, un comportement humain, une attitude intérieure humaine… Et cela en profondeur, en essayant de comprendre l’humain selon Dieu (qui l’a fait), et selon l’Évangile où on voit Jésus agir en humain, avec cette fameuse formule de Pilate : « Voici l’homme ! » où il disait beaucoup plus qu’il ne pensait…
Comme guide pour notre réflexion, je vous propose le pape François qui, dans son livre « La joie de l’Évangile », consacre plus du tiers de son texte à la dimension humaine et sociale de la vie, pour un chrétien. Sauf exception, toutes les références renvoient à des numéros de ce livre.
1ère partie :
Trois « NON » vigoureux pour dénoncer l’inhumain
1. Non à l’exclusion et à l’indifférence
Le pape dénonce par exemple le scandale de la nourriture qu’on jette, alors que des personnes souffrent de la faim (N° 53) et plus largement le fait que tout rentre dans le jeu de la compétitivité et de la loi du plus fort, où le puissant mange le faible… Les exclus ne sont pas des exploités, mais des déchets, des restes (id.).
A Lampedusa, là où échouent beaucoup de migrants, du moins ceux qui ne sont pas coulés par les pratiques monstrueuses de soi-disant passeurs, il a dénoncé la « mondialisation de l’indifférence », en expliquant : la culture du bien-être nous anesthésie… Presque sans nous en apercevoir, nous devenons incapables d’éprouver de la compassion devant le cri de douleur des autres… (N° 54).
Pour nous aider à réagir contre cette pente vers l’exclusion et l’indifférence, il essaie de promouvoir la « mondialisation de la solidarité ».
2. Non à la nouvelle idolâtrie de l’argent
Le pape affirme que nous avons inventé une nouvelle version du veau d’or (cf. Exode 32,1-35) : l’être humain est réduit à un seul de ses besoins : la consommation… Nous avons créé de nouvelles idoles, et cela aboutit à la négation du primat de l’être humain ! (N° 55).
On sait bien qu’il faut rentabiliser le bateau de pêche, mais les moyens pour y arriver respectent-ils assez la personne du marin ? En particulier sa sécurité, ses temps de repos… ?
Un petit nombre de riches deviennent toujours plus riches, tandis que la majorité s’éloigne toujours plus du bien-être ; la dette pèse toujours plus lourd sur les pauvres, tandis que l’évasion fiscale profite à des riches égoïstes ; et une idéologie affirme que c’est au marché de régler tout ça, et non pas aux états de contrôler et réguler l’origine et l’usage de l’argent (N° 56).
Au contraire, le pape affirme : l’argent doit servir, et non pas gouverner ! Le pape aime tout le monde, riches et pauvres, mais il a le devoir, au nom du Christ, de rappeler que les riches doivent aider les pauvres, les respecter et les promouvoir (N° 58).
3. Non aux inégalités qui engendrent la violence
De nos jours, partout, on demande une plus grande sécurité. Mais, tant qu’on n’élimine pas l’exclusion sociale et les inégalités, il sera impossible d’éradiquer la violence. On accuse les pauvres de la violence, mais, sans égalité des chances, les différentes formes d’agression et de guerres trouveront un terrain fertile qui tôt ou tard provoquera l’explosion. Quand la société abandonne dans la périphérie une partie d’elle-même, ni programme politique ni forces de l’ordre ne pourront assurer sans fin la tranquillité. Parce que le système social et économique est injuste à sa racine. (numéro 59)
Le pire, c’est que certains accusent les pauvres et les pays pauvres d’être la cause de leurs maux, alors qu’en même temps on voit croître ce cancer social qu’est la corruption – dans les gouvernements, les entreprises et les institutions – quelle que soit l’idéologie politique des gouvernants (numéro 60).
Le tableau peut paraître sombre, mais qui peut nier qu’il corresponde la réalité ? C’est pourquoi le pape François souligne que l’engagement avec les autres pour changer cette situation n’est pas seulement une conséquence de la foi, mais qu’il est « au cœur même de l’Évangile » (numéro 177) et que « c’est un émerveillement de vivre l’Évangile de la fraternité et de la justice » (numéro 179). Il rappelle avec force que le royaume de Dieu concerne tout, « tous les hommes et tout l’homme », comme disait le pape Paul VI. Et, avec les évêques d’Amérique latine, il explicite ainsi les dimensions sociales de la bonne nouvelle de Jésus-Christ : son commandement de charité embrasse toutes les dimensions de l’existence, toutes les personnes, tous les secteurs de la vie sociale et tous les peuples (numéro 181).
2e partie :
Les six points forts de la pensée sociale de l’Eglise,
pour une vie vraiment humaine
Depuis la fin du XIXe siècle, en partant de la Bible et des premiers penseurs chrétiens, les papes, le concile Vatican 2, et les évêques se sont efforcés de proposer aux chrétiens et à tous les hommes de bonne volonté des critères pour apprécier ce qu’est vraiment l’humain, pour porter un jugement éclairé sur les grands problèmes sociaux, et donner des orientations pour l’action. À vrai dire, le point de départ de tout ça, à la fin du XIXe siècle, ce n’est pas qu’il y aurait eu de l’émotion dans les bureaux romains, mais c’est que des syndicalistes et des patrons chrétiens ont crié à Rome le scandale que l’Eglise officielle ne fasse rien face à la situation inhumaine des ouvriers, en particulier des femmes et des enfants qui travaillaient : l’encyclique Rerum Novarum de Léon XIII en 1891 n’est pas tombée du ciel, elle est montée d’un peuple chrétien engagé dans la vie du monde. C’est peut-être le signe que ce que vous pouvez faire de mieux pour contribuer à faire évoluer la pensée sociale de l’Eglise, c’est de vous obstiner à faire entendre et voir ce que vous vivez et ce que vivent les autres partenaires en monde maritime. C’est pourquoi je voudrais vous faire entendre les six OUI de la pensée sociale de l’Eglise, tels que le pape François les exprime (les références, sauf exception, renvoient à son livre « la joie de l’Évangile »).
1. La dignité de la personne humaine, ou nous : l’homme au centre !
Cf. le SDF devenu vendeur de journaux : alors Monsieur vous avez retrouvé votre dignité ? – Ma dignité, Monsieur, je ne l’ai jamais perdue : elle est en moi comme elle est en vous. Disons que maintenant on me la reconnaît enfin.
Le mot « dignité » est ambigu et peut tromper son monde. On dit parfois que telle personne à une tenue très digne, ou que tel autre à un comportement indigne, mais cette parole n’exprime que des aspects extérieurs, une apparence jugée convenable, tandis que la dignité dont je parle est intérieure, inhérente à toute personne, même celle qui a un comportement indigne. Même celle qui ne respecte pas les autres doit être respectée dans sa dignité fondamentale. Qu’on soit blanc ou noir, hétéro ou homo, matelot ou capitaine, nous sommes tous également dignes de respect. Or, dit le pape François, trop souvent les êtres humains sont traités comme des objets qu’on utilise, et qui ensuite peuvent être jetés parce qu’ils deviennent faibles, malades ou vieux (discours au Parlement européen, 25 novembre 2014). C’est pourquoi j’ai aimé lire dans votre tract : nous nous engageons partout où la dignité des gens de mer n’est pas respectée.
Affirmer la dignité de l’homme, c’est reconnaître la valeur inviolable de toute vie humaine…Qu’il s’agisse d’enfants à naître ou de personnes en fin de vie, ou de matelots plus ou moins fatigués, un être humain est toujours sacré, dans n’importe quelle situation et en toute phase de son développement. Il est une fin en soi, et jamais un moyen pour résoudre d’autres difficultés. Si cette conviction disparaît, il ne reste plus de fondements solides et permanents pour la défense des droits humains,qui seraient toujours sujets aux convenances contingentes des puissants du moment (numéro 213).
Déclaration universelle des droits de l’homme, ONU, 1948 : reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine. Cette dignité est le fondement de droits inaliénables et sacrés, dit notre constitution de 1946, et bien sûr le fondement des devoirs qui leur correspondent.
Concrètement, tout homme a les mêmes droits humains, à commencer par les plus fondamentaux : vie, logement, eau, alimentation, éducation, repos, soins… Et cela pour « tout homme », mais aussi en prenant en compte « tout l’homme » : ne pas le réduire à sa dimension économique de consommateur ou de producteur. La dimension relationnelle, familiale en particulier, est aussi capitale : on voit dans vos documents combien les relations des marins avec leurs familles a de l’importance pour eux et pour elles, et donc pour la Mission de la Mer.
Et également la dimension spirituelle, qu’elle aie une forme religieuse ou pas. Sauf erreur, dans vos documents, en particulier sur les seamen’s-clubs, j’ai lu bien des choses sur la vie religieuse des marins, mais rien sur leur vie spirituelle en dehors des formes religieuses. Cependant, un de vos documents signale que la Convention Maritime parle du « bien-être spirituel des gens de mer », et on souligne que c’est un chantier à réfléchir. Peut-être s’agit-il de ce que dit votre tract : reconnaître du sens, ou donner du sens, à ce qu’on vit dans le monde maritime ?
La dignité est le fondement ultime de l’égalité et de la fraternité radicale entre tous les hommes : tout homme est mon égal et mon frère (cf. le vétérinaire qui se croit plus que sa mère vendeuse de carottes).
2. la destination universelle des biens
Cf. slogan du CCFD : « la terre est à tous », c’est-à-dire que Dieu donne tout pour tous : à nous de nous arranger pour répartir tout ça. « La terre est à tous », il me semble que ça inclut « la mer est à tous », ce qui est manifesté par le statut du domaine public maritime, mais ce qui peut aussi poser des problèmes, par exemple entre les différentes catégories de pêcheurs, et dans certaines compétitions pour étendre les eaux territoriales.
Pape François : la terre est notre maison commune, et nous sommes tous frères (numéro 183). Il faut rappeler que la planète appartient à toute l’humanité… Il faut répéter que les plus favorisés doivent renoncer à certains de leurs droits… (Numéro 190)
cf. Parabole des ouvriers de la 11e heure (Mathieu 20,1-16) : tous ont les mêmes besoins pour vivre.
Concile, GS 69 : « Dieu a destiné la terre et tout ce qu’elle contient à l’usage de tous les hommes et de tous les peuples, en sorte que les biens de la création doivent équitablement affluer entre les mains de tous, selon la règle de la justice, inséparable de la charité… C’est pourquoi l’homme, dans l’usage qu’il en fait, ne doit jamais considérer les choses qu’il possède légitimement comme n’appartenant qu’à lui, mais les regarder aussi comme communes : en ce sens qu’elles peuvent non seulement profiter à lui, mais aussi aux autres. D’ailleurs, tous les hommes ont le droit d’avoir une part suffisante des biens pour eux-mêmes et leur famille. » «Tous les autres droits, quels qu’ils soient, y compris ceux de propriété et de libre commerce, y sont subordonnés » (Paul VI, PP, 22)
Colère de l’Abbé Pierre contre le bénédicité : « Bénissez-nous, Seigneur…et procurez du pain à ceux qui n’en ont pas ! » Non ! C’est à nous de partager… Le pain (cf. spéculations sur le prix du blé)… Et l’eau (cf. bagarres autour des différents usages)… Et l’air (CO2) et les ressources naturelles…
Il y a désordre grave, scandale même, si un seul être humain manque du minimum de biens matériels et non matériels qui lui sont nécessaires pour vivre conformément à sa dignité de fils de Dieu.
Importance de tout ce qui va dans le sens d’une plus juste répartition : réforme agraire au Brésil, répartition de l’effort fiscal chez nous…(Cf. médecin exonéré de charges pour employée de maison, et qui trouve que c’est injustifié car il a les moyens de payer ces charges)
3. le bien commun universel
Il s’agit du bien commun de l’humanité. Jean-Paul II : la poursuite du bien commun d’une communauté politique particulière ne peut être opposée au bien commun de l’humanité (message du 1er janvier 2000). Benoît XVI : dans une société en voie de mondialisation, le bien commun et l’engagement en sa faveur doivent assumer les dimensions de la famille humaine tout entière, c’est-à-dire de la communauté des peuples et des nations, au point de donner forme d’unité et de paix à la cité des hommes, et d’en faire, en quelque sorte, la préfiguration anticipée de la cité sans frontières de Dieu (l’amour dans la vérité numéro 7).
Notre croissance économique repose de plus en plus fortement sur la consommation privée, elle-même fondée sur l’excitation des désirs, et cette pente du « toujours plus pour moi » est dangereuse à tous points de vue, de même que l’action de certains lobbies qui ne pensent qu’à leur bien à eux. Nous prenons conscience des problèmes environnementaux (réchauffement de la planète, limite des ressources…), cela nous invite à regarder la crise écologique comme un véritable «signe des temps », une invitation à un grand virage pour l’humanité, en prenant une conscience plus aiguë que nous sommes tous dépendants les uns des autres. Renoncer à satisfaire certaines envies, s’imposer des limites pour le bien de la communauté, ne porte pas forcément atteinte à l’épanouissement personnel : si le bien commun demande des sacrifices, il apporte un enrichissement. Cela demande une sérieuse vigilance, un discernement en conscience, et une volonté d’agir de la part de chacun :
Concrètement (selon nos évêques, dans « Qu’as-tu fait de ton frère ? », novembre 2006) :
. chercher inlassablement ce qui sert au plus grand nombre
. ce qui permet d’améliorer la condition des plus démunis et des plus faibles
. prendre en compte l’intérêt des générations futures, dans la perspective d’un développement durable
Prendre ainsi en compte le bien commun universel est la tâche, noble et difficile, de la politique, comme le souligne le pape François : La politique, tant dénigrée, est une vocation très noble, elle est une des formes les plus précieuses de la charité, parce qu’elle cherche le bien commun. Nous devons nous convaincre que la charité est le principe non seulement des micro-relations : rapports amicaux, familiaux, en petits groupes, mais également des macro-relations : rapports sociaux, économiques, politiques. Je prie le Seigneur qu’il nous offre davantage d’hommes politiques qui aient vraiment à cœur la société, le peuple, la vie des pauvres !… (N° 205).
Cela peut nous faire penser à l’importance du principe des quotas de pêche pour préserver la ressource, et aussi aux difficultés de la gestion de ces quotas avec les différences de points de vue entre les marins, les scientifiques et les politiques.
4. l’option préférentielle pour les pauvres
… Ou plutôt priorité délibérée aux plus démunis, aux plus faibles, ou plus menacés… Le mot «option» est ambigu : il ne s’agit pas d’une option possible parmi beaucoup d’autres, c’est le chemin de Jésus. Certes, il n’exclut pas les riches : il accueille Nicodème et visite Zachée, il a un percepteur parmi ses apôtres, des amis aisés (Lazare et ses soeurs), le tombeau d’un notable (Joseph d’Arimathie). Mais il donne la priorité aux exclus ou à ceux qui sont menacés de le devenir : les malades, les pécheurs, Marie-Madeleine et la Samaritaine…Une priorité pédagogique pour être sûr de n’oublier personne.
Cf. Luc 4,16-22 : Jésus s’applique la prophétie : il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres… Luc 7,18-23 : les aveugles voient et les boiteux marchent, les lépreux sont guéris et les sourds entendent, les morts ressuscitent, la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres…
Pape François : l’option pour les pauvres est une catégorie théologique avant d’être culturelle, sociologique, politique ou philosophique. Cette préférence divine a des conséquences dans la vie de foi de tous les chrétiens. Pour cette raison, je désire une Eglise pauvre pour les pauvres. (Numéro 198) Je voudrais que nous entendions le cri de Dieu qui nous demande à tous : « où est ton frère ? » (Genèse 4,9) (numéro 211). Nous devons toujours manifester ce signe : l’option pour les derniers, pour ceux que la société rejette et met de côté (numéro 196). Il est indispensable de prêter attention aux nouvelles formes de pauvreté et de fragilité, dans lesquelles nous sommes appelés à reconnaître le Christ souffrant : les sans-abri, les toxico-dépendants, les réfugiés, les personnes âgées seules et abandonnées, etc.… (Numéro 209).
Devise de l’Abbé Pierre : servir premier le plus souffrant ! Votre devise aussi, dans ce que votre tract appelle « préférence pour les plus démunis »
Est-ce que cela ne devrait pas être le principe de toute action sociale, économique, politique ? Avant de prendre une décision, se demander : qu’est-ce que cela va donner comme résultat pour les plus pauvres ?
Et qu’ils ne soient pas seulement bénéficiaires, mais le plus possible acteurs ! Comme nous l’a rappelé avec force Diaconia 2013, en soulignant très fort la réciprocité : « nul n’est trop pauvre pour n’avoir rien à donner, et nul n’est trop riche pour n’avoir rien à recevoir ».
B.XVI, La Parole du Seigneur N° 100 : les pasteurs sont appelés à les écouter, à apprendre d’eux, et à les motiver pour qu’ils soient les artisans de leur propre histoire.
Pape François : les pauvres ont beaucoup à nous enseigner… Nous sommes appelés à découvrir le Christ en eux, à prêter notre voix à leurs causes, mais aussi à être leurs amis, à les écouter, à les comprendre et à accueillir la mystérieuse sagesse que Dieu veut nous communiquer à travers eux. (Numéro 198).
L’objectif n’est pas seulement de pallier les difficultés de vie des personnes pauvres, mais de chercher à organiser la société de telle manière qu’il n’y ait plus de pauvres : c’est cela la justice.
5. le principe de subsidiarité
(Subsidiaire = élément complémentaire qui sert à renforcer quelque chose de principal)
Principe de subsidiarité = le niveau d’exercice des responsabilités et des prises de décisions qui en résultent, doit se situer au plus près des personnes concernées par ce qui va leur être proposé ou imposé. Que les responsabilités puissent être exercées au niveau le plus local possible. C’est seulement quand le niveau inférieur ne peut faire face seul qu’il est fait appel aux niveaux supérieurs.
B XVI (N° 57) : la subsidiarité respecte la dignité de la personne en qui elle voit un sujet toujours capable de donner quelque chose aux autres. Elle est l’antidote le plus efficace contre toute forme d’assistance paternaliste. Elle est une manifestation particulière de la charité et un guide éclairant pour la collaboration fraternelle entre croyants et non croyants.
C’est une véritable « foi en l’homme » qui pour nous s’enracine dans la foi en Dieu (cf. La parabole des talents, Mat 25, 14-30 : qu’on ait beaucoup de talents, ou qu’on en ait moins, ce qui compte, c’est que chacun utilise au mieux les talents qui sont les siens).
Concrètement, faire le moins possible pour l’autre, mais plutôt faire avec ; en tous cas, permettre à l’autre de faire le plus possible, à son niveau et selon ses possibilités.
Et ce qui vaut pour la relation à la personne aidée, vaut tout autant pour ce qui est de l’organisation d’une structure : dans la famille, et aussi dans les groupes ou associations de toutes sortes.
Et, si la subsidiarité est bonne pour la société, elle est bonne aussi dans l’Eglise. Ainsi, le pape François, après le concile, affirme que le pape ne peut pas tout décider, et il renvoie aux conférences épiscopales de chaque pays ou ensemble de pays (numéro 32). Avec le pape Paul VI, il rappelle que le pape ne peut pas proposer de solution universelle : il revient aux communautés chrétiennes d’analyser avec objectivité la situation propre de leur pays (numéro 184).
L’important est de ne pas marcher seul, mais de toujours compter sur les frères… (Numéro 33).
6. le principe de solidarité
J’aime bien quand vous vous présentez comme des gens qui s’efforcent d’être « témoins d’espérance et de solidarité ».
Pape François : solidarité, ce mot fait peur au monde développé. Ils essaient de ne pas le prononcer. C’est presque un gros mot pour eux.
Ce mot de solidarité a parfois été rejeté par des chrétiens, peut-être parce que des anticléricaux l’ont parfois opposé à la charité (vue comme bienfaisance humiliante). Mais Jean-Paul II y reconnaît une véritable vertu morale et même une vertu sociale fondamentale : elle n’est pas un sentiment de compassion vague ou d’attendrissement superficiel pour les maux subis par tant de personnes proches ou lointaines. Au contraire, c’est la détermination ferme et persévérante de travailler pour le bien commun, c’est-à-dire pour le bien de tous et de chacun, parce que tous nous sommes vraiment responsables de tous.
À la source : reconnaître que l’homme est un être de relations et que nous sommes tous dépendants les uns des autres, dans notre environnement immédiat, et de plus en plus aux dimensions du monde. Agir pour que ce soit le moins possible une dépendance à sens unique, mais au contraire une interdépendance, où chacun reçoit et chacun apporte. Et que l’interdépendance inévitable devienne une solidarité libre parce que voulue, un peu comme Jésus donnant librement sa vie pour ses frères (cf. 1 Jn 3,16).
La solidarité tient une grande place dans la Bible :
Isaïe 58,1-9 : Si tu dénoues les liens de servitude, si tu libères ton frère enchaîné… la nuit de ton combat sera lumière de midi…
Amos 5,21-25 : vos fêtes me dégoûtent, dit Dieu ; ce que je veux, c’est le droit et la justice…
Saint-Paul a lancé une grande quête pour venir en aide aux chrétiens de Jérusalem… Et St Jean écrit: si quelqu’un, jouissant des biens de ce monde, voit son frère dans la nécessité et lui ferme ses entrailles, comment l’amour de Dieu demeurerait-il en lui ?(1 Jn 3,7). Ce qui amène le pape François à écrire : le manque de solidarité envers les nécessités du pauvre affecte directement notre relation avec Dieu (numéro 187)
Concrètement, il y a chez nous la sécurité sociale… Et de multiples formes d’entraide… J’ai lu dans vos documents que la mer est une école de vie ensemble. C’est vrai, mais ma petite expérience m’oblige à ajouter : celui qui va à ton secours en mer peut quand même être capable de chercher à te couler à terre, par ses pratiques commerciales.
Avec la mondialisation, l’interdépendance est de plus en plus forte, de plus en plus large, de plus en plus rapide… Et vous êtes au cœur de cette solidarité internationale, sur les navires et dans les seamen’s clubs. C’est dire l’importance de ce que vous essayez de faire, comme est importante l’aide publique au développement des pays pauvres… En se rappelant qu’il ne suffit pas de donner un poisson à celui qui a faim, mais qu’il faut surtout lui apprendre à pêcher.
Pape François : quand Jésus dit à ses disciples « donnez-leur vous-mêmes à manger » (Marc 6,37), cela implique autant la coopération pour résoudre les causes structurelles de la pauvreté et promouvoir le développement intégral des pauvres, que les gestes simples et quotidiens de solidarité devant les misères concrètes que nous rencontrons. Le mot « solidarité » est un peu usé, et parfois on l’interprète mal, mais il désigne beaucoup plus que quelques actes sporadiques de générosité. Il demande de créer une nouvelle mentalité qui pense en termes de communauté, de priorité de la vie de tous sur l’appropriation des biens par quelques-uns (numéro 188). C’est ce que s’efforce de faire l’économie qu’on qualifie de «solidaire » : elle propose à celui qui est en manque de participer à un projet commun pour créer quelque chose ensemble. On ne vise plus seulement à satisfaire des besoins individuels, mais à construire en même temps une appartenance à partir des compétences différentes des uns et des autres. La solidarité devient ainsi un grand projet de toute la société, plutôt que simplement une aide à l’égard des plus démunis, pour que chacun puisse devenir toujours plus co-créateur avec Dieu, en même temps que co-responsable avec les autres
Des valeurs
Pape François : dans la société, l’Eglise accompagne les propositions qui peuvent répondre le mieux à la dignité de la personne humaine et au bien commun. Ce faisant, elle propose toujours avec clarté les valeurs fondamentales de l’existence humaine, pour transmettre les convictions qui ensuite peuvent se traduire en actions politiques (numéro 241).
Vérité : comporte à la fois la sincérité dans l’engagement, et la recherche de la vérité (CDS N° 198).
Aujourd’hui, problème de la perte de confiance, dans les politiques (les promesses n’engagent que ceux qui les croient !).
Liberté : le droit à l’exercice de la liberté est une exigence inséparable de la dignité de la personne humaine. Chaque membre de la société doit pouvoir réaliser sa vocation personnelle : exprimer ses opinions, décider de son mode de vie, prendre des initiatives… Cela comprend donc la liberté d’action, la liberté de conscience, la liberté religieuse, la liberté d’expression… Dans le respect des autres, et en lien avec eux (CDS N° 199 et 200 )(cf. Le printemps arabe).
Justice : synode des évêques en 1971, repris par Paul VI : le combat pour la justice et la participation à la transformation du monde nous apparaissent pleinement comme une dimension constitutive de la prédication de l’Évangile qui est la mission de l’Eglise, pour la rédemption de l’humanité et sa libération de toute situation oppressive.
La justice s’obstine à chercher et soigner les causes de ce qui blesse les gens, là où la charité risque d’en rester à soigner/adoucir les conséquences. (Question des associations humanitaires : les élus ne se déchargent-ils pas indûment sur nous ?)
B XVI (N° 6) : la charité n’existe jamais sans la justice… Elle exige la justice… La justice est la première voie de la charité ou, comme le disait Paul VI, son minimum…
Charité : encore trop souvent comprise comme bienfaisance de haut en bas… Alors qu’elle est l’amour jaillissant du Père et qui, du Fils, vient jusqu’à nous, et même en nous, pour nous permettre d’être les instruments de l’amour gratuit de Dieu (par l’Esprit) et le répandre autour de nous (cf. B XVI, N° 5).
Si d’un côté la charité exige la justice, d’un autre côté la charité dépasse la justice et la complète dans la logique du don et du pardon, par des relations de gratuité, de miséricorde et de communion (cf. id. N° 6).
Simone Weil : non pas aimer les autres pour l’amour de Dieu, plutot les aimer vraiment pour eux-mêmes, par l’amour de Dieu.
Au coeur de la foi chrétienne
P. Pontier : Benoît XVI nous rappelle que l’engagement dans la société est constitutif de la foi chrétienne. Il est au coeur même de la foi. Cf. Mathieu 25,35-40 : « j’avais faim, vous m’avez donné à manger… ». Par cette parabole, le Christ nous indique clairement que le chemin avec les autres est le plus sûr pour aller vers Lui.
Joseph Moingt (Croire quand même, éd. Temps présent, 2010) : avec Jésus, Dieu sort de l’enceinte du sacré où il était enfermé, il vient désormais à nous là où nous vivons… L’Évangile n’est pas centré sur une religion avec des préceptes, mais sur le Royaume de Dieu qui est l’unité de la famille humaine en train de se construire par la charité de l’Esprit Saint partout répandu. Le meilleur culte à rendre à Dieu, c’est le service du prochain, l’amour des autres, la justice rendue à tous, à la suite de Jésus : voilà la Bonne Nouvelle !
Pape François : l’Évangile invite avant tout à répondre au Dieu qui nous aime et qui nous sauve, le reconnaissant dans les autres et sortant de nous-mêmes pour chercher le bien de tous (numéro 39). Ce qui compte, c’est avant tout « la foi opérant par la charité » (Ga 5,6). Les œuvres d’amour envers le prochain sont la manifestation extérieure la plus parfaite de la grâce intérieure de l’Esprit. (numéro 37).
(1) En 2016, Clément Pichaud, prêtre, est « animateur au Centre Spirituel » de Chaillé-les-Marais en Vendée. Il avait travaillé dans l’ostréiculture. Cette intervention a été donnée à la rencontre régionale de la Mission de la Mer, à La Rochelle, le 7 mars 2015.