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Mission de la Mer. Lettre de Casablanca au Maroc.  6 janvier 2017

Amis. Nous sommes mondiaux. En novembre dernier, à Marrakech, la COP 22 a connu grand succès. Bien sûr les menaces sur le climat n’ont pas encore disparu, mais un pas a été franchi. Agir, oui, quand et comment ? A chaque conscience de chercher les chemins du possible. Les marins, eux aussi, cherchent leur chemin. Lors d’une visite sur un bateau en bon état, un marin a glissé subrepticement un papier dans ma poche, que j’ai bien sûr déplié loin des regards indiscrets. Il passait par moi pour lancer un appel à l’aide car son bateau n’était pas aussi propre que les lois l’exigent. Une action était difficile, mais la conscience était là, que ce marin a au moins pu soulager en me remettant cette « bouteille à la mer ». Il savait que son action minuscule, dans ses répercussions mondiales, avait un sens.

Nous sommes mondiaux, dans chacun de nos gestes de protection de l’environnement, comme ce marin en avait une conscience vive.

Nous sommes mondiaux. Je le touche du doigt en rendant visite aux marins qui labourent la planète de mer en mer, comme le dit Albert Londres. Je l’ai touché du doigt il y a plusieurs années. C’était à l’église, et je tenais en mes mains un petit objet presque insignifiant, de quelques grammes à peine : une petite hostie – avouez que l’objet n’a rien d’imposant. Il se trouve que ce jour-là, j’avais visité un navire apportant du blé d’Argentine – le Maroc est loin de l’autosuffisance alimentaire. Il battait pavillon du Panama, et il était régi par une société anglaise dont le manager était un Israélien, basé en Suisse. Et au service des pains futurs, et donc  aussi de futures hosties, j’ai rencontré sur ce bateau des marins de onze nationalités différentes : Philippins et Chinois, Turcs et Roumains, Serbes et Monténégrins, Ukrainiens et Russes, et j’en oublie plusieurs. Cerise sur l’hostie, si je peux dire, les religieuses qui fabriquent les hosties à Casablanca sont mexicaines. Alors quand je prends une hostie dans mes mains et que je dis qu’elle est le fruit de la terre et du travail des hommes, je soupèse et je célèbre le travail conjoint de vingt nationalités, avec juste une toute petite hostie de rien du tout.

Je vous le serine avec vigueur chaque année, car j’occupe une place privilégiée pour le faire : ce qui est vrai pour une simple hostie est vrai pour (presque) tout ce que nous achetons, et ce que nous consommons. Nous sommes mondiaux sans le savoir et sans le vouloir, à toute heure du jour ou de la nuit, en jeûnant ou en festoyant. Tous mondiaux, vous dis-je.

Pour les marins, il n’est pas toujours facile d’être mondiaux. Cette année, pendant huit ou neuf mois, les communications téléphoniques par internet ont été rendues difficiles, ici au Maroc, pour des questions de business semble-t-il, peu importe. Vous imaginez la déception des marins qui espéraient entendre la voix de l’aimée après de longues semaines de mer et n’obtenaient qu’un bip-bip impersonnel et triste… Heureusement, il était possible de contourner l’obstacle, grâce à une manipulation technique simple, encore fallait-il la connaître. Donc pendant neuf mois, j’ai passé une partie de mes visites aux marins à les aider à établir la communication internet avec leurs familles.

Un officier indien me reçoit de sympathique manière, mais quand je lui demande si tout va bien, je n’ai pas besoin d’être devin pour comprendre que non : « J’ai une liaison internet, mais je n’arrive pas à joindre ma femme ». La manipulation technique qui a résolu son problème ne m’a pris que quelques minutes, et son visage s’est illuminé d’un coup quand enfin il a pu entendre la voix de sa femme. Quelques instants plus tard, il commentait : « C’est formidable ! Partout dans le monde, il y a quelqu’un de Stella Maris pour nous expliquer internet ». Ce qui est surtout formidable, c’est son exclamation : est elle fausse en tout point. D’abord nous ne sommes pas présents dans tous les ports du monde, loin s’en faut. Ensuite, il mélange allègrement les réseaux d’accueil des marins des différentes églises (Pour les initiés, Stella Maris, dont je fais partie, mais aussi Mission to seafarers, Dutch seamen’s mission, Sailor’s society…). Enfin, si internet nous occupe beaucoup, nous ne faisons pas que cela lors des visites à bord, loin s’en faut. Alors ?

Alors reste le « ressenti », comme on dit dans les bulletins météo, ce ressenti qui fait croire à un officier indien que partout dans le monde l’Eglise se préoccupe de sa communication avec sa bien-aimée. Je suis humble : je ne suis qu’un très petit maillon d’un ressenti peut-être mondial, mais largement faux dans son ensemble. Et je suis fier aussi, car je suis mondial, moi aussi, dans mes visites quotidiennes aux marins, faible maillon que je me plais à imaginer essentiel pour les marins en escale non seulement à Casablanca, mais dans le monde entier, puisque tel est leur ressenti. Jour après jour, par la grâce des visites à bord, je développe le ressenti des marins. Je l’enfle, je le gonfle, je le dilate, je le mesure enfin à l’aulne du sourire des marins qui m’accueillent. Immense, le ressenti des marins accueillis ! Et évanescent, le ministère quotidien du prêtre au service d’un improbable et impalpable ressenti. « J’étais étranger et vous m’avez accueilli ».

Cet été, provoqué par un neveu, j’ai passé d’excellentes vacances en Tanzanie. J’y ai rencontré quelques uns des jeunes que j’ai tenté de tirer de la rue il y a vingt ans. Ils sont adultes, maintenant. C’est le temps du bilan. Beaucoup s’en sortent bien, font plaisir à voir, me reçoivent chez eux, me présentent leurs enfants. Alléluia. Beaucoup ? Disons une grande moitié. Ceux que j’ai rencontrés. Car il y a les autres. Ceux dont on suppose ou on espère qu’ils mènent leur vie ailleurs. Et puis il y a encore les autres. Ceux que je n’ai aucune chance de rencontrer, car ils ont déjà terminé la course. Morts à trente ans, bouffés par la rue. Flingués par l’alcool ou la drogue. Un sur quatre. Normal, pour des jeunes des rues, direz-vous. Facile à dire. Pas facile à vivre, croyez-moi. Priez pour eux.

Et le Maroc ? Je ne suis pas spécialiste géo-politique. Il reste un pays calme, même s’il se cherche encore un gouvernement, trois mois après les élections. Et surtout il fait de l’accueil des migrants une politique, les discours du Roi sur ce sujet sont étonnants de vigueur. Il vient ainsi de lancer une seconde campagne de régularisation des migrants en situation irrégulière. Cette politique ne fait peut-être guère de bruit en Europe (moins de bruit que les assauts repoussés des migrants à Melilla et Ceuta, les enclaves espagnoles en territoire marocain), elle n’en est pas moins réelle.

C’est dans ce cadre que notre Eglise est largement accueillie au Maroc où nous témoignons sans faire grand bruit que le vivre ensemble est un art qui se cultive avec amour et vigueur. Mondiaux peut-être, et concernés par les violences du monde, mais nous témoignons aussi humblement que le voisinage est possible et que la rencontre est belle. Venez à Casablanca, goûtez et voyez.  Je vous souhaite une belle année.

Arnaud de Boissieu

 

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