Session de la chambre d’agriculture de Charente-Maritime du 28 novembre 2016
Proposition d’intervention en plénière de la Confédération Paysanne de Charente-Maritime sur la situation de la conchyliculture dans le département de Charente Maritime :
Où comment d’une crise sanitaire, nous pouvons repenser l’avenir de nos enfants !
Tout d’abord, merci à tous d’avoir accepté d’écouter ce simple témoignage d’un mytiliculteur au sein même de la Chambre d’Agriculture. Paradoxalement, aujourd’hui, je voudrais m’adresser, non seulement à un public d’agriculteurs mais aussi et surtout aux pères (mères) de famille ou aux grands-pères (grands-mères) pour certains (nes) d’entre vous.
Jusqu’à présent, et depuis de nombreuses années, les Paysans (nes) de la Mer lançaient un cri d’alerte. Aujourd’hui, c’est véritablement un cri d’alarme que nous poussons!
Au plus fort de la crise, au mois d’avril, lorsque je naviguais vers mon champ de moules, à l’approche des filières, la mer n’était plus verte, ni bleue ou grise comme à l’habitude. L’œil averti du professionnel détectait immédiatement que quelque chose d’anormal était en train de se passer. L’eau était orangée, poisseuse, presque visqueuse. Dès les filières levées à la grue, une odeur nauséabonde de chair en putréfaction envahissait l’air ambiant.
Nous n’avons malheureusement pu que constater les dégâts :
- Pertuis Breton (entre l’île de ré et la Vendée), mortalités supérieures à 90%.
- Nord du Pertuis d’Antioche (entre La Rochelle et l’île d’Aix), mortalités entre 60 et 70%
- Le sud du Pertuis d’Antioche (entre l’île d’Aix et l’île d’Oléron) est « un peu plus épargné » avec un taux aux alentours de 60%.
Ce sont quelques 10 000 tonnes de moules (20% de la production française qui sont mortes en quelques semaines pour la deuxième fois consécutive !).
Or, l’étude des coquillages fossiles montre que nos moules et nos huîtres, sous leur forme quasi actuelle, ont cohabité avec les dinosaures à la fin du crétacé (22 millions d’années !). Elles jouent un rôle écologique et trophique important sur les plateaux continentaux, contribuant notamment au cycle du carbone.
Quel est l’éleveur qui supporterait de voir ses animaux mourir de pâturer la prairie naturelle devant la ferme et pourrait raisonnablement survivre à une telle hécatombe ?
L’agonie programmée de l’océan est l’affaire de tous ! Nul ne peut et ne doit ignorer que sa propre survie en dépend ! A tout instant et à jamais, chaque femme, chaque homme est redevable, par ses choix, de la vie en toute chose.
Le constat factuel des professionnels est simple et pragmatique, directement dicté par notre bon sens paysan, qui vivons et travaillons constamment au contact de cette nature que nous avons adoptée.
- Il s’agit là d’un épisode d’une ampleur bien supérieure à celui de 2014. Nous sommes face à une véritable épidémie.
- L’explication météorologique avancée en 2014 (35 tempêtes en 2 mois) et qui avait d’ailleurs permis d’actionner les aides calamités agricoles, est obsolète pour 2016. Nous aurions plutôt eu une météo favorable avec un automne estival et un hiver doux et pluvieux, sans grand mauvais temps.
- La maladie attaque plus spécifiquement lorsque le coquillage entame sa période de reproduction. Par essais de contamination directe en laboratoire, deux agents pathogènes ont été formellement identifiés, différents de ceux qui affectent les huîtres. Le véritable souci est qu’ils étaient connus de longue date pour vivre en parfaite symbiose avec nos coquillages. Il a donc fallu l’apparition récente d’un facteur extérieur, soit qui les rende pathogènes, soit qui affaiblisse les défenses immunitaires des coquillages.
- Les coquillages « sauvages » sont également touchés (palourdes, huîtres, pétoncles, coquilles Saint Jacques). Les bancs naturels de moules sont gravement impactés, ce qui nous inquiète pour les futurs recrutements de naissain.
- Les portes d’entrée avancées pour expliquer la survenue des mortalités d’huîtres depuis 2006 ( production d’écloseries, triploïdes, échanges inter bassins, origine non indigène de l’espèce élevée…), même si elles restent en partie pertinentes en ce qui concerne l’ostréiculture, ne tiennent pas dans le cas des moules. La profession mytilicole a toujours, à l’unanimité, refusé catégoriquement l’immersion de moules issues d’écloseries dans les eaux françaises. Il n’y a pas, à l’exception de fourniture denaissains naturels aux autres régions littorales (Normandie, Bretagne), de transferts de coquillages pendant tout le reste du cycle de production.
- Les moules qui meurent aujourd’hui sont les petites filles de celles qui sont passées au travers de l’épidémie de 2014. Il n’y a donc pas, au moins sur le court terme, d’espoir de résistance d’une génération à l’autre.
- L’étude des animaux morts montre des anomalies chromosomiques graves (aneuploïdie, polyploïdie). Il est scientifiquement reconnu que ces désordres entraînent des conséquences en terme de croissance, de reproduction ou de mutations génétiques. Elles sont, par ailleurs, systématiquement corrélées à la présence de molécules chimiques (perturbateurs endocriniens, par exemple).
- Pour compléter ce tableau, on retrouve des nano particules de plastique jusque dans la chair des animaux marins.
- En ce qui concerne les solutions que nous pourrions apporter, nous sommes totalement démunis :
- L’utilisation d’un vaccin est impensable. En effet nos animaux, à contrario des animaux terrestres, ne pâturent pas l’océan en se déplaçant. C’est le pâturage qui défile autour d’eux au gré des courants et des marées.
- Pratiquer un vide sanitaire est inenvisageable et de toute façon serait inopérant sauf à retirer tous les animaux, y compris les sauvages du milieu naturel.
- Les scientifiques ainsi que la profession sont défavorables à développer une sélection génétique forcée vers la résistance à la maladie. Les conséquences d’une telle voie sont par trop hasardeuses quant au développement d’autres résistances imprévisibles en milieu marin.
Une fois posé le contexte, cette crise gravissime a au moins l’avantage d’obliger à se poser les questions de fond.
L’enjeu est majeur car, il va bien au-delà de la simple disparition de quelques entreprises ! La conchyliculture est la sentinelle de la santé des océans. Elle fait vivre de nombreuses familles et anime, à l’année, bien des secteurs de notre littoral. L’attrait touristique et l’aura nationale voir internationale de notre territoire leur doivent beaucoup.
Elle a une histoire. Elle porte un héritage culturel et un savoir-faire ancestral. Elle a façonné des paysages splendides et précieux pour notre biodiversité. Il en aura fallu de la patience et de la persévérance pour maîtriser l’art du captage des coquillages sauvages et d’en accompagner la croissance en harmonie totale avec une nature indomptable. Avec beaucoup de ténacité et sans chercher à tout prix à nous enrichir, nous vivions bien de nos métiers. Les métiers de la mer se sont toujours attachés à « cueillir » les fruits de la nature en se contentant d’accompagner le cycle de production de leurs coquillages. Ils véhiculent dans leur culture intrinsèque l’attention portée à l’eau, qu’elle soit douce ou salée. Cette façon harmonieuse d’appréhender la nature s’est transformée en chemin de croix, sans plus aucune visibilité sur l’avenir, en partie dû aux choix faits tout le long des bassins versants.
Pour nous, aujourd’hui, l’essentiel n’est plus les coquillages qui meurent, mais bien ceux qui survivront et pourront assumer la survie de l’espèce.
Il est par ailleurs indispensable de se projeter dans l’avenir : nos enfants, nos petits-enfants pourront-ils encore se régaler des fruits de la mer… ou tout simplement s’émerveiller d’une pêche à pieds extraordinaire qui nous renvoie, dans notre subconscient, à nos ancêtres cueilleurs de la préhistoire ?
Cette crise montre, s’il en était encore besoin, que les équilibres environnementaux ne sont plus respectés. Tout est lié et il serait illusoire de cloisonner les causes. La Terre nous nourrit. L’Eau nous abreuve. L’Air purifie notre sang.
Nous sommes au cœur stratégique de cette évolution car la terre nourrit la mer qui nourrit le plancton dont se nourrissent nos coquillages. Nous savons que rien ne sera réglé si on ne s’attache pas à guérir le mal à sa racine. Nous en sommes tous des acteurs essentiels. Nous avons donc le choix de changer les choses !
L’enjeu de mon intervention devant vous est de taille, car si la conchyliculture contribue, notamment dans notre département, au développement d’un secteur économique non négligeable ; elle participe aussi au maintien de bonnes conditions environnementales aux incidences primordiales sur vos propres productions.
Le développement de nouvelles techniques d’élevage en eau profonde a permis de soulager la densité mise en élevage sur l’estran, sans augmentation de la biomasse. En protégeant physiquement ces zones concernées, les filières sont des endroits privilégiés pour la reproduction de nombreuses espèces halieutiques. Il est derrière nous le temps où l’on pouvait accuser notre profession de sur pâturage !
L’activité conchylicole a pour conséquence directe le maintien de zones humides, autant à l’intérieur des terres que sur le littoral. L’élevage et l’affinage des huîtres en claires représentent l’immense majorité de ces marais salés. Sur ces milieux, l’intervention de l’homme est indispensable au maintien d’un bon fonctionnement hydraulique et écologique. Sans cette activité, la plupart de ces zones auraient disparu, et avec elles des écosystèmes et des paysages particuliers. Nous savons bien, ici en Charente Maritime, le rôle tampon qu’ont joué ces marais lors de la submersion de la tempête Xynthia.
Les conchyliculteurs sont les premiers intéressés par la qualité de l’eau et le débit des fleuves qui alimentent l’océan. Aucune de nos productions ne peut se satisfaire d’une qualité médiocre, tant au niveau biologique que physico-chimique ; car au final, contrairement aux élevages terrestres, nous commercialisons nos animaux vivants aux consommateurs. Or, nous faisons les frais d’une pollution venant autant des apports telluriques (engrais, polluants chimiques, molécules médicamenteuses, coliformes fécaux…), que des pollutions d’origine marines (marées noires, rejets d’eau de ballast, dragages des ports…).
Pourtant, s’agissant particulièrement de la conchyliculture, il est scientifiquement reconnu qu’elle a un impact favorable sur son environnement immédiat :
- Elle ne demande pas de transformation des sols.
- Elle n’utilise aucun aliment pour produire un kilogramme de chair.
- Elle n’est pas impliquée dans les problèmes d’émission de méthane par rumination.
- Elle produit 3 à 4 fois moins d’effluents qu’un élevage terrestre.
- Les coquillages sont largement en tête dans le classement de l’empreinte écologique (EE) des produits alimentaires d’origine animale, loin devant les produits animaux terrestres.Les moulesprésentent un bilan carbone 100 fois moins élevé que la viande de veau et 40 fois moins élevé que la viande de bœuf.
- Elle constitue une source de nourriture parfois significative pour certaines espèces sauvages (oiseaux, poissons, crustacés, bigorneaux, étoiles de mer…), à tel point que cela peut poser de sérieux problèmes de prédation.
Au cours des dernières décennies, l’océan a ralenti le rythme du changement climatique anthropique en absorbant près de 30 % des émissions de dioxyde de carbone (océan et climate, UNESCO). La production de coquillages joue un rôle clé dans le cycle du carbone naturel. En fabriquant leur coquille calcaire, ils séquestrent le carbone absorbé par l’océan pour le transformer en carbonate de calcium. En se nourrissant de phytoplancton, nos coquillages assurent le transfert, la minéralisation et le stockage dans le sédiment d’azote organique.
Les conséquences du dérèglement climatique se font déjà sentir pour tous ceux dont le métier et la vie professionnelle s’articulent autour du rythme des marées. Très concrètement, tous les habitants du bord de mer peuvent témoigner de l’élévation du niveau de la mer. Point question sous nos climats de tsunamis dévastateurs, mais plutôt d’une inexorable pression de l’océan sur les côtes les plus fragiles avec pour conséquences directes: érosion, submersion, intensification des risques de tempête et, à terme, la salinisation des nappes phréatiques côtières. Processus déjà enclenché dans notre département !
Je pourrai développer, ici, à l’infini, les conséquences néfastes que nous observons déjà : la modification notable des vasières qui sont des zones sensibles de reproduction et (ou) de nurseries ; l’augmentation de la température moyenne de l’eau de mer (1,5°C en 30 ans à M/O) entraîne le décalage saisonnier de la production primaire, perturbant ainsi le cycle traditionnel des coquillages ; la disparition progressive des champs de fucales (algues brunes) très sujettes aux températures élevées ; le changement du régime pluviométrique qui gère la quantité et la qualité des apports telluriques (évolution sur 30 ans : azote + 70%, phosphore – 30%) participe de la généralisation des phénomènes de marées vertes qui touchent nos îles et à l’augmentation des périodes d’interdiction de vente de nos coquillages liée à la présence de phytoplanctons toxiques; l’absorption de l’excès de CO2 présent dans l’air augmente l’acidité des eaux …
Une étude commandée par la profession mytilicole a montré qu’en matière de bilan carbone, nous pouvions prétendre au marché mondial de compensation du carbone à hauteur de 14 Millions d’€ par an pour une production annuelle moyenne, en Charente Maritime, de l’ordre de 12 000 tonnes de moules. Cela souligne, s’il en était encore besoin, l’urgence de sauver nos productions !
Se pose alors la question : comment poursuivre et amplifier ces remises en question que chacun de nous, au fond de lui-même, sent comme inéluctables, sans heurter?
Beaucoup d’entre nous, par méconnaissance, par désinformation, par emprisonnement dans des logiques économiques, pourront se sentir stigmatisés dans leurs pratiques. Sur beaucoup des sujets abordés, nous devons, sans être donneurs de leçons, nous appuyer sur le fruit d’expériences concrètes, d’ici ou d’ailleurs ; pour partager, en toute fraternité, nos expériences. La santé de la Terre vaut beaucoup plus que de l’argent. Malgré les progrès de notre soit disante « modernité », nous sommes restés toujours autant dépendants d’elle, ainsi qu’aux premiers jours de l’humanité.
Elle sera toujours présente. Elle ne périra pas. Tout au plus se débarrassera t’elle de l’espèce humaine. Mais aussi longtemps que le soleil brillera, l’eau des rivières coulera vers la mer et cette Terre là continuera à donner la Vie… sans nous !
C’est notre Terre, la Terre de nos pères et celle que nous laisserons à nos petits enfants dont nous avons la charge. Nous demandons, simplement, qu’elle soit de nouveau respectée en tant qu’elle est le support même de nos vies.
Au plus haut niveau de sa représentation nationale, la Confédération Paysanne a reconnu à l’unanimité la responsabilité partielle de l’agriculture sur l’évolution du débit et de la qualité des cours d’eau, et l’incidence de certaines pratiques agricoles sur la dégradation de la qualité des milieux estuariens.
Dans son combat pour l’Agriculture Paysanne, la Confédération Paysanne a exprimé sa solidarité avec les Paysans de la Mer lors d’une rencontre avec nos représentants professionnels le 9 juin 2016, aux Sables d’Olonne. La fraternité de destin et le rapprochement entre les paysans de la mer et ceux de la terre doivent s’exprimer clairement et profondément à l’occasion de cette crise sans précédent, dans la solidarité inter générationnelle mais aussi professionnelle résolument orientée vers la reconquête d’un environnement marin de qualité. Il y va de notre survie à tous ! Sans cet engagement fort, il n’y a pas de place digne pour un paysan(ne) qui porte en lui (elle) les valeurs suprêmes d’un métier enraciné dans la nature. Dans cette lutte vitale, nous réapprendrons l’ancrage profond qui nous relie à notre Terre.
Je vous remercie très sincèrement de votre écoute, et vous propose, en conclusion, et pour poser les bases d’un travail commun, de voter la motion présentée par la Confédération Paysanne de Charente Maritime sur la mise en place de pratiques agricoles alternatives le long des bassins versants comme il en existe déjà autour des périmètres de captage d’eau potable ( et dont la Chambre d’agriculture en est un des relais) en solidarité avec les conchyliculteurs qui, eux aussi, ont des familles à faire vivre.
JF Périgné, Paysan de la mer, Membre du comité national de la Confédération Paysanne.